LE
ROYAUME DU BHOUTAN document au format PDF |
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Le
Bhoutan
a longtemps été un pays inconnu de l'Occident et mystérieux. Jusque dans
les années 1970, quelques rares visiteurs occidentaux avaient pu pénétrer
dans la pays: les premiers furent deux Jésuites portugais en 1627, suivis
par quelques envoyés britanniques au 18ème, 19ème et début du 20 ème
siècle, puis par quelques photographes et journalistes à partir des années
50.
Le pays avait réussi à échapper à la grande vague colonialiste du 19ème siècle et préservait farouchement son indépendance en pratiquant une politique d'isolation vis-à-vis de l'Occident.
Mais cette volonté ne fut pas la seule raison qui contribua à préserver le Bhoutan. Il faut se tourner vers la géographie.
Le
Bhoutan aujourd'hui peuplé par 650.000 habitants, a une superficie de
47.000 kms2, à peu près la taille de la Suisse, et est situé à la
latitude du Maroc. A peine 150 kms séparent la frontière sud avec l'Inde
de la frontière nord avec le Tibet (Chine) et sur cette courte distance,
l'altitude passe de 300 m à 7300 m. Le Bhoutan est donc un gigantesque
escalier qui s'élève à partir de la moiteur des plaines de l'Assam et
du Bengale en Inde pour atteindre l'air raréfié du grand Himalaya qui le
sépare du plateau tibétain. Au sud des jungles impénétrables, au Nord,
une barrière de montagnes, Le Bhoutan était donc naturellement
protégé des agressions extérieures. Toutefois, aussi étrange
que cela puisse paraître, il était plus facile d'accéder au Bhoutan par
le nord que par le sud. Des cols perçaient la barrière himalayenne et
les échanges pouvaient se faire de mai à octobre par des sentiers qui
menaient en deux jours dans les vallées centrales. En revanche, entrer
par le sud nécessitait plusieurs jours de marches dans des forêts
tropicales inhospitalières et chaudes. Si historiquement, les échanges
commerciaux ont existé avec le sud, c'est le Tibet qui a eu le plus de
relations culturelles, religieuses et économiques avec le Bhoutan (cf.
chapitre sur l'histoire). Situé à la frontière entre deux mondes, le
Bhoutan put au cours des siècles développer une culture tout à fait
unique qui en fait encore de nos jours l'un des pays les plus attachants
et les plus originaux du monde.
La
géographie du pays est complexe. Elle est tout d'abord marquée par des chaînes
de montagne orientées Nord/Sud qui séparent les vallées où
coulent des rivières. Les cols entre chaque vallée s'élèvent jusqu'à
4000 m, ce qui entraîna un repli des régions sur elles-mêmes, des
particularismes locaux très importants et des difficultés certaines de
communications.
Schématiquement,
du sud au nord, le pays se divise en trois grandes zones écologiques et
de peuplement.
Le
sud
Le
climat est chaud avec véritablement cinq saisons, ne se rafraîchissant
qu' en hiver qui dure de novembre à février. Le printemps et l'automne
sont courts avec des températures autour de 25°. L'été d'avril à juin
est très sec et chaud, les températures montant jusqu'à 40°. La
mousson est abondante de mi-juin à fin septembre et marcher dans ces régions
devient alors particulièrement pénible à cause des sangsues.
Les
Bhoutanais ne traversaient ces régions que pour aller faire du commerce
en Inde, ou pour certains ne s'y installaient avec leur bétail que de façon
saisonnière lors de la transhumance hivernale. Longtemps resté peu
exploité, le sud a commencé son essor dans la première moitié du 20ème
siècle lorsque des migrants d'origine népalaise ont été appelés par
les Bhoutanais pour défricher certaines parties de la forêt et commencer
des cultures. Des petites bourgades se sont crées: Samtse, Phuentsholing,
Gelephu, Samdrup Jongkhar. Elles faisaient office de point de transit pour
les marchandises entrant et sortant du Bhoutan. Dans les années 70, avec
l'éradication de la malaria, de plus en plus de Bhoutanais sont venus
s'installer dans cette région attirés par ses potentialités
commerciales et pour exploiter des vergers d'orange. La première fabrique
de jus de fruit, confiture et alcool s'installa à ce moment-là. Dans les
années 80, le sud connut un boom économique avec l'installation de
plusieurs usines (cimenterie, carbide de calcium, alliages ferreux) qui
fut rendue possible par l'électricité fournie par la centrale
hydro-electrique de Chukha.
La
majorité des habitants du sud, appelés Lhotshampa "les gens des
frontières du sud", sont d'origine népalaise, un terme qui recouvre
différentes populations d'origine ethnique différente: les Sherpa,
Tamang, Grung ou Limbu sont des tibéto-birmans tandis que les Bahuns et
Chetris sont des indo-népalais. Tous, même s'ils avaient des langues
différentes à l'origine, parlent le Népalais, une langue de la famille
indo-européenne, qui est devenue la langue du petit commerce. La majeure
partie d'entre eux est de religion hindoue mais les Sherpa et une partie
des Tamang sont bouddhistes. Agriculteurs expérimentés, les Népalais
ont beaucoup contribué à la mise en valeur du sud et font pousser du
riz, de la cardamome et des oranges.
La
zone centrale
Cette
zone se divise en trois régions distinctes, ayant chacune leurs spécificités
bien que le processus de développement et les moyens de communication
modernes aient maintenant un rôle certain d'homogénéisation.
L'ouest:
Ha
est la vallée qui a l'altitude la plus élevée (3000m et au-dessus); le
riz ne peut pas y pousser, et les cultures sont essentiellement le blé
d'hiver et l'orge, auxquels s'ajoute maintenant la pomme de terre. Les
gens de Ha possèdent des troupeaux de yak qu'ils emmènent en
transhumance vers le sud l'hiver. Paro et Thimphu situées entre 2200 et
2400m sont vouées à la culture du riz en champs inondés et aux vergers
de pommiers, pêchers et pruniers. Thimphu est devenue la capitale du
Bhoutan dans les années 50 et sa population a doublé en 20 ans
atteignant aujourd'hui 35.000 habitants. Les habitations prennent donc peu
à peu le pas sur les terres arables et le prix des champs s'envole.
Un
col à 3000m conduit aux deux vallées jumelles, beaucoup plus basses
(1300m),
de Punakha et Wangduephodrang. Ces deux vallées se consacrent
essentiellement à la culture du riz ainsi qu'aux cultures maraîchères.
Punakha, l'ancienne capitale, est encore la capitale hivernale du clergé
d'état qui, depuis Thimphu, vient passer les six mois les plus froids
dans une vallée au le climat si doux que bananiers et figuiers y
poussent.
Le
Bhoutan central: Une
longue montée à travers une forêt de feuillus et de rhododendrons
conduit de Wangduephodrang au col de Pelela (3300m) qui traverse les
Montagnes noires. Celles-ci forment la frontière naturelle entre l'ouest
et le centre du Bhoutan qui comprend les régions de Tongsa, Bumthang,
Shemgang et Lhuntsi. La population de ces vallées parle une langue que
les linguistes classent parmi les langues tibéto-birmanes influencées
par le tibétain et qui se divise en différents dialectes selon les régions.
Tandis
que Tongsa et Lhuntsi sont essentiellement agricoles et vouées à la
culture du riz, les quatre vallées qui composent Bumthang sont situées
à une altitude de 2700m et au-delà et le riz ne peut y pousser. Les
pentes des montagnes couvertes de forêts de conifères et le sarrasin,
l'orge, le blé et les pommes de terre sont les cultures principales, mais
l'élevage de moutons pour la laine, de bovins et de yaks y est une source
importante de revenus. La transhumance est largement pratiquée en hiver
pour les troupeaux de bovins et de moutons, en particulier vers la région
méridionale adjacente de Shemgang, basse et semi-tropicale, où la forêt
et son sous-bois leur fournit la nourriture nécessaire. Shemgang est
aussi le domaine d'orchidées extraordinaires.
Tongsa
s'enorgueillit d'avoir le plus beau dzong du Bhoutan situé stratégiquement
dans une gorge entre l'ouest et l'est du pays. Ses gouverneurs (Penlops)
étaient très puissants et c'est l'un d'eux, Jigme Namgyel, qui prit le
contrôle du pays au milieu du 19ème siècle, permettant ainsi plus tard
à son fils Ugyen Wangchuck de devenir le premier roi du Bhoutan en 1907.
Depuis, le prince héritier porte le titre de Tongsa Penlop, "
Gouverneur de Tongsa".
La
région de Bumthang est le coeur géographique du pays . Elle est formée
de quatre vallées aux pentes couvertes d'épaisses forêts de conifères
et parsemées de petits temples d'une grande importance historique. Chume
et Choekhor sont agricoles, tournées vers la culture du sarrasin qui
formait jusqu'à récemment la base de l'alimentation. Tang et Ura, plus
élevées, étaient essentiellement consacrées à l'élevage du mouton et
du yak, mais dans les vingt dernières années la culture de la pomme de
terre a transformé l'économie de Ura, enrichissant ses habitants de façon
spectaculaire.
Les
tissus de laine exécutés par les femmes de la région sont très prisés
à travers tout le pays et contribuent de façon significative au revenu
des familles.
A
l'est de Bumthang, la région de Lhuntsi, autrefois appelée Kurtoe,
produit un riz très apprécié et les femmes y tissent les plus beaux
textiles du pays. Ces tissus qui peuvent prendre jusqu'à un an de
travail, sont couverts de motifs géométriques qui ressemblent à de la
broderie mais qui en fait n'en sont pas et relèvent plus de la technique
du brocart; ils sont obtenus en ajoutant des fils de trame de couleur vive
au fond du tissu ( cf. article sur l'art et l'artisanat).
Aujourd'hui
la production d'huiles essentielles de façon semi-artisanale, et en
particulier de térébenthine et de citronnelle, contribue de façon
substantielle à l'économie rurale.
La
position de Lhuntsi est tout à fait particulière. La partie supérieure
de la vallée est étroitement associée à Bumthang du point de vue
linguistique, historique et économique tandis que sa position géographique
et sa partie inférieure la classent dans la partie orientale du pays.
C'est donc un trait d'union entre ces deux parties du Bhoutan.
L'Est:
La
région orientale est aujourd'hui formée par les districts de Lhuntsi (cf. ci-dessus),
Mongar, Tashiyangtse, Tashigang et Pemagatshel. Généralement d'altitude
plus basse que le reste de la bande centrale, le climat y est plus chaud
et la mousson forte. C'est aussi la région la plus peuplée du pays et la
moins boisée. Les cultures les plus importantes sont le riz et surtout le
maïs qui formait la base de l'alimentation. Le millet est aussi cultivé;
il est la céréale de base pour la fabrication de l'alcool qui joue un rôle
prépondérant dans la vie sociale de toute la région. Les troupeaux
de bovins y sont importants, et l'animal le plus prisé est le
mithun, un bovin aux cornes impressionnantes et excellent reproducteur,
que l'on retrouve également en Arunachal Pradesh, la province indienne
qui jouxte l'est du Bhoutan. En revanche le yak est pratiquement
inexistant sauf dans les vallées de Merak et Sakteng situées à plus de
3000m et qui constituent une poche culturelle et économique à part.
La
population de l'Est, les Sharchopas "Gens de l'est", sauf
quelques exceptions comme les vallées de Merak et Sakteng, une partie du
district de Tashiyangtse et quelques villages isolés du district de
Mongar, parle le Tsangla, communément appelé Sharchopkha
"langue des gens de l'est". Cette langue qui connaît des différences
dialectales selon les endroits, est une langue tibéto-birmane, sans lien
avec le tibétain ou le dzongkha,
et elle n'est pas encore classée de façon définitive. Toutefois, les
termes religieux viennent du tibétain.
La
géographie de cette région se démarque aussi du reste du pays. Excepté
quelques vallées comme Radi et Tashiyangtse, le paysage se caractérise
par des gorges au fond desquelles coulent les rivières tandis que les
habitations dispersées en groupes de deux ou trois et les champs sont
situés vers le haut des montagnes ou des collines dont le sommet forme
souvent un plateau. Depuis le début des années 80, les services
administratifs (école, dispensaire, services agricole et vétérinaire,
poste) ont donc souvent été placés dans un endroit qui permet de
desservir le plus grand nombre d'habitations possible, créant ainsi un
village auquel se sont ajoutés deux ou trois boutiques vendant des objets
de première nécessité.
Le
petit commerce avec les régions de l'Assam et de l'Arunachal Pradesh en
Inde est actif depuis des siècles, apportant un supplément de revenus
aux paysans qui le pratiquaient l'hiver. Quant aux femmes, elles tissent
des tissus en coton ou soie épaisse avec des motifs géométriques en
fils de chaîne ajoutés.
Le
Nord
Cette
partie du Bhoutan s'étend de l'ouest à l'est et commence aux alentours
de 3000m. Elle est habitée jusqu'à 5000m l'été. Le climat y est dur
avec un hiver très froid et enneigé, et un été assez chaud et
pluvieux. Cette configuration climatologique en fait une véritable réserve
de plantes et fleurs rares et aujourd'hui protégées comme le bambou
nain, le pavot bleu (meconopsis
grandis) qui est la fleur nationale, l'edelweiss, la gentiane.
Certaines plantes sont depuis des siècles utilisées pour la pharmacopée
traditionnelle et étaient exportées vers le Tibet. Dans les textes, un
des noms anciens du Bhoutan étaient " les Vallées du sud aux herbes
médicinales". C'est aussi le domaine du léopard des neiges, du
takin (bos taxicolor) qui est l'animal national, des papillons et du daim
porte-musc, toutes ces espèces étant protégées; une grande partie de
cette région est d'ailleurs aujourd'hui un parc national.
Peu
peuplée, elle est habitée par des éleveurs semi-nomades qui parlent des
dialectes du dzongkha ou du tibétain.
Ils habitent des maisons qui servent aussi de réserves, avec un petit
lopin pour la culture des raves ou d'orge. L'hiver, ils emmènent les yaks
pâturer sur les pentes avoisinantes. Au printemps, une partie de la
famille part bien au-delà de la limite des arbres, vers les hautes
altitudes, et plante sa tente en poils de yak noirs au centre de pâturages
où les yaks trouveront une nourriture abondante qui les consolera des
rigueurs alimentaires de l'hiver. Le yak est l'animal providentiel et
indispensable de cette région. Il fournit la viande, le beurre, le
fromage, le yaourt; ses poils sont utilisés pour tisser les tentes et les
vêtements; sa bouse sert de combustible; et sa viande sera échangée en
automne dans les vallées centrales contre du riz, du sel et des outils de
première nécessité.
Le
commerce avec le Tibet qui était fort actif et formait un appoint de
revenus pour ces éleveurs s'est arrêté depuis la fermeture de la frontière
en 1959 à la suite de l'invasion chinoise. Toutefois, il semble avoir
quelque peu repris de façon non-officielle dans les dernières années.
L'économie
du Bhoutan, si elle était fondée sur l'agriculture et l'élevage, était
aussi très dépendante du commerce de proche en proche qui fonctionnait
par le troc. Depuis les années 70, les échanges sont devenus de plus en
plus monétarisés mais le troc se pratique encore dans des endroits reculés.
Toutefois, il faut noter qu'il n'existait traditionnellement pas de classe
commerçante; c'était certains paysans et les éleveurs eux-mêmes qui
pratiquaient le commerce aux saisons qui le leur permettaient, c'est-à-dire
en hiver avec l'Inde et au printemps et à l'automne, après la moisson
avec le Tibet. Le système social de la vie en famille élargie permettait
aussi l'absence d'un homme hors de la maison pendant plusieurs semaines.
En
effet, à la campagne, on vit en famille élargie tandis que dans les
villes, la tendance est à la famille nucléaire. Le Bhoutan est un pays au
système matrimonial et familial très tolérant. Le mariage peut prendre
des formes diverses: monogamie, polygamie (avec des soeurs), polyandrie
(avec des frères) dans le nord et à Merak et Sakteng. Le mariage n'est
pas un sacrement et le divorce a toujours existé, probablement rendu plus
aisé par le fait qu'il n'y a pas de système de dot, que les femmes héritent
au même titre que les hommes et gardent leurs biens et leur nom après le
mariage. D'autre part, un garçon ou une fille étaient aussi bien
accueillis à la naissance, et souvent on préfère les filles car elles
ont la réputation de mieux s'occuper de leurs parents quand ils sont
vieux. L'indépendance et la force de caractère des femmes bhoutanaises
sont certainement une des caractéristiques les plus intéressantes de
cette société.
S'il
y avait plusieurs fils, l'un d'eux partait au monastère autant par dévotion
religieuse des parents que pour satisfaire la taxe monastique, aujourd'hui
abolie. En outre, jusque dans les années 60, le monastère était le seul
endroit où un enfant pouvait recevoir une éducation. Toutefois, le système
était souple et si à l'âge adulte, un homme s'apercevait que la vie
monastique ne lui convenait pas, il pouvait rendre ses voeux et sortir du
monastère pour reprendre une vie laïque sans que la société ne réprouve
son geste.
Tous
les paysans du Bhoutan, sauf dans le nord, possèdent quelques poules,
souvent des cochons noirs dont la chair est très appréciée - dans le
sud des chèvres-, et un lopin de terre consacré à la culture de
quelques légumes et en particulier des piments, qui est un légume à
part entière et rend la cuisine bhoutanaise très relevée. L'utilisation
du riz comme aliment de base se généralise à travers tout le pays et un
Bhoutanais peut en manger jusqu'à 1kg par jour! Le riz est accompagné de
ragoûts de légumes et de viandes, fraîches ou séchées, cuisinés avec
une sauce très épicée. Le plat national est l'emadatsi, une sauce à base de fromage fondu dans laquelle ont
cuit des piments. Les Bhoutanais sont traditionnellement peu friands de
sucreries et les fruits sont mangés hors des repas. Le repas se clôt
souvent par la mastication du doma,
une chique de bétel, de chaux et de noix d'arec qui a des propriétés
digestives et euphorisantes.
On
boit généralement entre les repas ou avant le repas mais peu pendant le
repas. Les boissons sont le thé salé avec plus ou moins de beurre selon
les régions, le thé au lait sucré à l'indienne, et récemment parmi
les classes aisées, le thé chinois, noir ou au jasmin. La consommation
d'alcool est traditionnellement très importante aussi bien chez les
hommes que chez les femmes. Il s'agit soit d'une sorte de bière faite à
partir de céréales (orge, blé, millet, maïs) fermentées quelques
jours ou d'ara, un alcool de céréales
distillé.
Les
Bhoutanais sont des bons vivants qui ont un sens de l'humour aiguisé et
paillard. Le tir à l'arc est à la fois le sport, le passe-temps et
l'activité sociale par excellence des hommes et les joutes s'accompagnent
de nombreuses libations. Toutefois, si les femmes ne tirent pas à l'arc,
elles participent aux compétitions entre villages ou équipes en dansant
et chantant pour encourager leur équipe. Et elles ne se privent pas de se
moquer des hommes de l'équipe adverse en les attaquant verbalement de façon
crue et acérée afin de les déstabiliser.
Les
grandes fêtes religieuses sont l'occasion
pour toute une région de se retrouver et de renouveler sa foi en
regardant les danses sacrées qui sont symboliques mais aussi didactiques.
Les clowns font rire la foule par leurs pitreries souvent obscènes. Sacré
et obscène coexistent toujours au Bhoutan. Ces fêtes sont aussi une
occasion sociale où les villageois revêtent leurs plus beaux atours et
bijoux, où les gens échangent des nouvelles et où les jeunes se
rencontrent et flirtent sous le regard compréhensif des parents.
Une
fête annuelle a aussi lieu dans chaque maison, en général l'hiver quand
il n'y a pas de gros travaux agricoles, et elle rassemble famille et amis proches. Elle
consiste en un rituel qui s'accompagne de lecture de textes.
Exécuté par des religieux, il apporte des bénédictions et une
protection pour la famille, les champs et le bétail. Chaque maison possède
une pièce qui est une chapelle et qui sert aussi de lieu de réception
pour les invités que l'on veut honorer.
Travaux
des champs et rituels divers ont scandé la vie des Bhoutanais pendant des
siècles. Depuis 30 ans des transformations socio-économiques importantes
ont quelque peu bouleversé cette façon de vivre séculaire.
Comment
décrire aujourd'hui le Bhoutan aujourd'hui en évitant les clichés
faciles qui le comparent toujours à
une sorte d'Eden himalayen, à Shangrila ? Le Bhoutan est un pays si
surprenant qu'il n'entre dans aucune catégorie bien établie.
Il
y a quarante ans, c'était un pays fermé, pratiquant un isolationnisme voulu, encore médiéval dans ses structures et sans moyens de
communications modernes. Aujourd'hui avec ses 600,000 habitants sur une
superficie équivalente à celle de la Suisse et ses 540 US dollars de PNB
qui est le plus élevé en Asie du Sud, c'est une nation ancrée dans le
monde, membre de l'ONU et d'autres organisations internationales,
entretenant des relations diplomatiques avec bon nombre de pays.
Monarchie
depuis 1907, le pays dispose d'un gouvernement composé de plusieurs
ministres et d'une assemblée nationale de 150 membres ainsi que d'assemblées
villageoises (1981) et de districts (1991). Ce sont des forums où les
Bhoutanais font part de leurs propositions et où sont expliquées les décisions
gouvernementales. Le Roi, Jigme Singye Wangchuck, eut en 1987 cette
formule: "Je suis plus intéressé par le Bonheur National Brut que
par le Produit National Brut".
La
population vit encore à 80% de l'agriculture et de l'élevage. Le
gouvernement emploie des fonctionnaires (environ 10.000) pour ses services
administratifs ainsi que dans les domaines de l'éducation et de la santé
qui sont gratuites et étatiques. Le secteur privé se développe depuis
le début des années 1990 et les industries rapportent au gouvernement
l'essentiel de ses ressources : agro-industries, cimenteries, carbide de calcium mais
surtout centrales hydro-électriques qui exploitent seulement 10% du
potentiel réel de 30.000 MW. L'électricité est exportée à 85% en
Inde.
Le
tourisme et ses revenus ne forme qu'une activité annexe pour le Bhoutan.
Privatisé au début des années 1990, ce secteur est néanmoins étroitement
contrôlé par le Tourism Authority of Bhutan (TAB) qui est le bras du
gouvernement. Seuls les groupes sont autorisés et le forfait par jour est
assez élevé ( environ 1000 FF).En 2000, 7000 touristes ont visité le
Bhoutan.
Avec
l'eau, la forêt est la richesse du Bhoutan. Essences tropicales, feuillus
des régions tempérées ou conifères couvrent 72°/° du territoire ( 64°/°
vers 1960). Dans ce secteur aussi, la politique gouvernementale est celle
de la préservation et non de l'exploitation car les Bhoutanais sont
conscients des ravages écologiques et économiques que provoque une
exploitation forcené de l'or vert.
Ce
souci de la protection de l'environnement en général se traduit au
niveau gouvernemental par l'existence d'une Commission pour
l'Environnement (NEC) qui formule les orientations et veille à
l'application des décisions. Les parcs nationaux couvrent 26°/° du
territoire et y vivent de nombreuses espèces protégées que ce soit du
monde animal (daim porte-musc, mouton bleu, takin, léopard des neiges,
grue à col noir) ou végétal (pavot bleu, rhododendron, gentiane, orchidées,
plantes médicinales). Soutenu activement par le Fond Mondial pour la Vie
sauvage (WWF), le Bhoutan veut être aujourd'hui un pays leader dans ce
domaine.
Le
Bhoutan entre aujourd'hui dans son huitième Plan quinquennal de développement
et s'il a des ressources propres, elles sont actuellement insuffisantes
pour financer les grands projets tels que les routes et les télécommunications,
ainsi que les constructions d'hôpitaux et d'écoles,
quatre objectifs prioritaires. Il y a quarante ans, il n'y avait
pas de routes, pas de téléphone, pas d'électricité, trois écoles
primaires et deux petits hôpitaux. Aujourd'hui, les routes, l'électricité,
le téléphone, le fax permettent de communiquer à l'intérieur du
pays mais aussi à l'extérieur, même si ces services ne couvrent pas
encore 100°/° de la population. Une compagnie aérienne, Druk Air,
dessert Delhi, Kathmandu, Calcutta, et Bangkok. 110.000 enfants
sont scolarisés, une université a été créée et 660 structures médicales
existent, que ce soient des vrais hôpitaux, des dispensaires ou des
cliniques mobiles .
Ainsi,
pour financer cette politique ambitieuse de développement, le Bhoutan
fait-il appel à l'assistance financière et technique de plusieurs pays
et organisations. L'Inde qui apporte sa contribution depuis 1961, le
Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l'UNICEF, l'OMS,
le Japon, l'Union européenne, la Suisse, le Danemark, la Hollande et la
Norvège sont aujourd'hui les
plus importants partenaires de coopération.
Ce
développement, même mesuré et très contrôlé par la Commission du
Plan, ne va pas sans les problèmes qui lui sont inhérents: urbanisation
parfois sauvage et délinquance. Toutefois, à cause de sa population réduite,
le Bhoutan a de bonnes chances de pouvoir contrôler ces problèmes. La
capitale Thimphu ne compte que 50.000 habitants et n'a toujours pas de
feux rouges. Cependant, le taux de natalité est trop rapide (2,5%) et
le gouvernement encourage vivement le contrôle des naissances.
Deux
autres problèmes, sans lien direct avec le développement, sont apparus
ces dernières années. Le premier concerne plusieurs milliers de
personnes d'origine népalaise qui vivent dans des camps au Népal et
disent qu'elles ont été évincées de force du sud du Bhoutan entre 1990
et 1992. Le gouvernement bhoutanais dit que ces personnes soit sont
parties de leur plein gré, soit ne sont pas citoyens bhoutanais. Les négociations
entre les gouvernements népalais et bhoutanais pour résoudre cette
situation n'ont pour l'instant pas abouti.
Le
second problème ne concerne pas directement le Bhoutan qui s'y est trouvé
impliqué par le jeu de la géographie. Les Bodos, une ethnie tibéto-birmane
de la région de l'Assam (Inde) et qui vivent dans la région limitrophe
du Bhoutan du sud-est, réclament depuis plusieurs années un état séparé.
Cette agitation, dirigée contre l'Inde, est violente. Des groupes armés
se cachent maintenant dans les jungles du Bhoutan et ont commencé des
exactions au Bhoutan même. Cette situation inquiète beaucoup le
gouvernement bhoutanais qui poursuit ces consultations avec l'Inde.
La
prudence et la mesure qui caractérisent les orientations politiques
bhoutanaises se retrouvent aussi dans la défense de la culture. Influencés
depuis des siècles par la culture tibétaine qu'ils ont adaptée à leur
pays et bouddhistes en majorité, les Bhoutanais sont fiers d'avoir une culture
originale et revendiquent bien haut leur droit à la préserver.
L'arrivée de la technologie permet l'informatisation de l'inventaires des
biens culturels et religieux ainsi que du catalogue de la bibliothèque
nationale. Un logiciel de dzongkha,
la langue nationale, existe. L'Institut de médecine traditionnelle
supervise un programme de culture et de traitement de plantes médicinales.
Les arts sont enseignés dans des écoles spécialisées. Les maisons
nouvellement construites doivent présenter des caractères architecturaux
qui s'accorde avec le style du pays. Quant au bouddhisme du Grand Véhicule,
Mahayana
, qui est religion d'état, il joue un rôle prépondérant dans la
formation du mode de pensée mais aussi dans la vie quotidienne. Les
religieux exécutent des rituels plus ou moins complexes lors des cérémonies
officielles mais aussi pour les familles qui font appel à eux en toute
circonstance. L'école religieuse officielle est l'école drukpa
kagyupa mais une grande partie du centre et de l'est du bhoutan est
d'obédience nyingmapa. Les deux
écoles adhèrent aux mêmes principes fondamentaux mais se distinguent
par des rituels et des traditions d'enseignement quelque peu différents.
Le
défi de vouloir l'équilibre entre développement et traditions caractérise
aujourd'hui le Bhoutan. Mais le Bhoutan a depuis longtemps relevé un
autre défi: celui de survivre et garder son identité entre deux géants,
l'Inde et la Chine.
Françoise
Pommaret
2000
Note
1: La source des statistiques est la Planning Commission, Royal
Government of Bhutan.
Note
2: la transcription des noms propres bhoutanais varient selon les
publications. Nous avons essayé de suivre la plus courante.